Scan barcode
A review by mizlitterature
A Room of One's Own by Virginia Woolf
5.0
J’ai rencontré Virginia Woolf au tout début de ma vie littéraire parce qu’elle aimait Jane Austen et les sœurs Brontë. On était faites pour s’entendre.
Après avoir lu presque tout ce que ces dernières avaient à offrir (c’est bien le problème des autrices décédées, elles ne publient plus rien de nouveau), je me suis tournée vers Virginia presque instinctivement, mais avec une simple curiosité. Comme une élève n’ayant pas fait ses lectures au moment approprié, je suis allée me procurer A Room of One’s Own et j’ai croisé mes doigts pour qu’il y ait une troisième condition essentielle qui m’empêchait d’écrire, qui m’excusait de ne pas l’avoir fait. Fallait-il avoir du temps libre? Ne pas être impliquée dans une relation amoureuse? Ne pas vivre avec un petit quadrupède poilu pouvant crier à toute heure du jour ou de la nuit? Vivre plus d’expériences, en voyageant plus, par exemple? Il y avait forcément quelque chose.
Les trois premiers chapitres m’ont laissée sur ma faim. Ou, plutôt, les deux premiers m’ont offusquée parce que les femmes n’avaient pas accès à la bibliothèque sans être accompagnée d’un étudiant ou d’une lettre de recommandation signée, évidemment par un homme, parce qu’elles ne pouvaient pas vraiment travailler, puisqu’elles étaient souvent enceintes, parce que, selon les docteurs et les spécialistes, elles étaient inférieures, etc. et le troisième, racontant l’histoire fictive de la sœur de Shakespeare m’a semblé un peu long, mais toujours aussi frustrant, par contre, puisqu’on y rapporte les propos d’une certaine Cecil Gray tirés de A Survey of Contemporary Music: « Sir, a woman’s composing is like a dog’s walking on his hind legs. It is not done well, but you are surprised to find it done at all. » Tout au long de sa réflexion, Virginia Woolf affirme que dans cent ans, les femmes auront de meilleures conditions de vie et plus de reconnaissance et que ces arguments tomberont. A Room of One’s Own étant originalement paru en 1929, nous sommes, à onze ans près, cent ans plus tard et je confirme que la majorité de ces raisons n’ont plus lieu d’empêcher les femmes d’écrire. C’était intéressant, mais ça ne m’aidait pas.
La suite était captivante. Au cours du chapitre 4, on étudie la vie et l’œuvre d’autrices pourtant accomplies; Lady Winchilsea, Margaret of Newcastle, Jane Austen, les sœurs Brontë (malgré qu’Anne soit encore et toujours la grande oubliée), George Eliot. Et c’est dans ce chapitre que j’ai mis le doigt sur la majeure partie de mon problème. À la page 74, très précisément : Je sens que ce que j’aurais à raconter n’est pas important. N’est pas intéressant. Pas digne d’être lu, donc ni d’être publié, donc ni d’être écrit. Mes amis littéraires masculins (c’est étrange, les femmes ne posent jamais cette question) me demandent toujours où j’en suis avec l’écriture, si j’ai commencé mon roman, si j’ai des chapitres prêts à être lus par un comité de lecture (composé d’eux, évidemment). Et dès que je commence à dire que j’ai envie de raconter l’histoire d’un amour à sens unique, leur expression change. Et ce n’est pas pour exprimer «Oh wow, quelle idée pertinente et magnifique», mais plutôt «Ah ouain, alors tu veux écrire de la chick lit qui n’est publiée que par des maisons d’éditions généralistes et vendue au Costco, c’est bien ça? Quel dommage, quel talent gâché. J’ai presque honte que nous ayons étudié ensemble, je vais devoir te lire, ou du moins, faire semblant de.» L’amour est un sujet bas et féminin, bien que tous les hommes l’exploitent aussi. Ça me rappelle ce que l’on dit à propos des auteurs-compositeurs-interprètes mondialement connus: parmi ceux qui chantent des histoires d’amour qui vont plus ou moins bien, basées bien souvent selon leur propre vécu, on retrouve Ed Sheeran, John Mayer, Justin Bieber, Harry Styles, Shawn Mendes, Bruno Mars. Mais qui blâme-t-on de cette tendance? Taylor Swift.
Le chapitre cinq contenait une autre surprise, le constat qu’en littérature, les personnages féminins ne s’aiment pas et sont essentiellement, avant Jane Austen, vues par les hommes et uniquement dans leur relation avec eux. Et c’est toujours vrai. À moins que l’histoire ne soit centrée sur deux amies, ou deux sœurs, les femmes ne s’aiment pas. On présente ces personnages féminins comme étant forts, mais toujours parce que différents des «autres» filles. Et pourtant, ces trois séries sont écrites par des femmes auteures.
La conclusion du sixième et dernier chapitre était époustouflante. Chacun des thèmes des précédents chapitres y est repris, même que l’on comprend pourquoi l’histoire fictive de la sœur de Shakespeare était importante: pour donner un visage à l’autrice géniale qui n’a pas pu être. Pour rendre l’appel à l’action, à l’écriture, d’autant plus percutant. Car oui, c’est bien dont il est question à la fin de l’essai: en tant que femmes, nous n’avons plus aucune raison de ne pas écrire. Nous avons accès à l’éducation, avons notre propre argent, le droit de vote, le droit à la contraception. Nous avons des pièces, des appartements à nous. Et pour ce qui est de nos sujets de prédilections, Virginia Woolf conclut: « So long as you write what you wish to write, that is all that matters; and whether it matters for ages or only for hours, nobody can say. »
Bref, c’est un petit essai, mince dans l’édition de Penguin Classics, à peine 110 pages. Mais il hantera mes pensées pour longtemps encore. Surtout à cause de la page 74.
Je veux lire le billet de blogue entier!
Après avoir lu presque tout ce que ces dernières avaient à offrir (c’est bien le problème des autrices décédées, elles ne publient plus rien de nouveau), je me suis tournée vers Virginia presque instinctivement, mais avec une simple curiosité. Comme une élève n’ayant pas fait ses lectures au moment approprié, je suis allée me procurer A Room of One’s Own et j’ai croisé mes doigts pour qu’il y ait une troisième condition essentielle qui m’empêchait d’écrire, qui m’excusait de ne pas l’avoir fait. Fallait-il avoir du temps libre? Ne pas être impliquée dans une relation amoureuse? Ne pas vivre avec un petit quadrupède poilu pouvant crier à toute heure du jour ou de la nuit? Vivre plus d’expériences, en voyageant plus, par exemple? Il y avait forcément quelque chose.
Les trois premiers chapitres m’ont laissée sur ma faim. Ou, plutôt, les deux premiers m’ont offusquée parce que les femmes n’avaient pas accès à la bibliothèque sans être accompagnée d’un étudiant ou d’une lettre de recommandation signée, évidemment par un homme, parce qu’elles ne pouvaient pas vraiment travailler, puisqu’elles étaient souvent enceintes, parce que, selon les docteurs et les spécialistes, elles étaient inférieures, etc. et le troisième, racontant l’histoire fictive de la sœur de Shakespeare m’a semblé un peu long, mais toujours aussi frustrant, par contre, puisqu’on y rapporte les propos d’une certaine Cecil Gray tirés de A Survey of Contemporary Music: « Sir, a woman’s composing is like a dog’s walking on his hind legs. It is not done well, but you are surprised to find it done at all. » Tout au long de sa réflexion, Virginia Woolf affirme que dans cent ans, les femmes auront de meilleures conditions de vie et plus de reconnaissance et que ces arguments tomberont. A Room of One’s Own étant originalement paru en 1929, nous sommes, à onze ans près, cent ans plus tard et je confirme que la majorité de ces raisons n’ont plus lieu d’empêcher les femmes d’écrire. C’était intéressant, mais ça ne m’aidait pas.
La suite était captivante. Au cours du chapitre 4, on étudie la vie et l’œuvre d’autrices pourtant accomplies; Lady Winchilsea, Margaret of Newcastle, Jane Austen, les sœurs Brontë (malgré qu’Anne soit encore et toujours la grande oubliée), George Eliot. Et c’est dans ce chapitre que j’ai mis le doigt sur la majeure partie de mon problème. À la page 74, très précisément : Je sens que ce que j’aurais à raconter n’est pas important. N’est pas intéressant. Pas digne d’être lu, donc ni d’être publié, donc ni d’être écrit. Mes amis littéraires masculins (c’est étrange, les femmes ne posent jamais cette question) me demandent toujours où j’en suis avec l’écriture, si j’ai commencé mon roman, si j’ai des chapitres prêts à être lus par un comité de lecture (composé d’eux, évidemment). Et dès que je commence à dire que j’ai envie de raconter l’histoire d’un amour à sens unique, leur expression change. Et ce n’est pas pour exprimer «Oh wow, quelle idée pertinente et magnifique», mais plutôt «Ah ouain, alors tu veux écrire de la chick lit qui n’est publiée que par des maisons d’éditions généralistes et vendue au Costco, c’est bien ça? Quel dommage, quel talent gâché. J’ai presque honte que nous ayons étudié ensemble, je vais devoir te lire, ou du moins, faire semblant de.» L’amour est un sujet bas et féminin, bien que tous les hommes l’exploitent aussi. Ça me rappelle ce que l’on dit à propos des auteurs-compositeurs-interprètes mondialement connus: parmi ceux qui chantent des histoires d’amour qui vont plus ou moins bien, basées bien souvent selon leur propre vécu, on retrouve Ed Sheeran, John Mayer, Justin Bieber, Harry Styles, Shawn Mendes, Bruno Mars. Mais qui blâme-t-on de cette tendance? Taylor Swift.
Le chapitre cinq contenait une autre surprise, le constat qu’en littérature, les personnages féminins ne s’aiment pas et sont essentiellement, avant Jane Austen, vues par les hommes et uniquement dans leur relation avec eux. Et c’est toujours vrai. À moins que l’histoire ne soit centrée sur deux amies, ou deux sœurs, les femmes ne s’aiment pas. On présente ces personnages féminins comme étant forts, mais toujours parce que différents des «autres» filles. Et pourtant, ces trois séries sont écrites par des femmes auteures.
La conclusion du sixième et dernier chapitre était époustouflante. Chacun des thèmes des précédents chapitres y est repris, même que l’on comprend pourquoi l’histoire fictive de la sœur de Shakespeare était importante: pour donner un visage à l’autrice géniale qui n’a pas pu être. Pour rendre l’appel à l’action, à l’écriture, d’autant plus percutant. Car oui, c’est bien dont il est question à la fin de l’essai: en tant que femmes, nous n’avons plus aucune raison de ne pas écrire. Nous avons accès à l’éducation, avons notre propre argent, le droit de vote, le droit à la contraception. Nous avons des pièces, des appartements à nous. Et pour ce qui est de nos sujets de prédilections, Virginia Woolf conclut: « So long as you write what you wish to write, that is all that matters; and whether it matters for ages or only for hours, nobody can say. »
Bref, c’est un petit essai, mince dans l’édition de Penguin Classics, à peine 110 pages. Mais il hantera mes pensées pour longtemps encore. Surtout à cause de la page 74.
Je veux lire le billet de blogue entier!