A review by apanneton
La vie privée des arbres by Alejandro Zambra, Megan McDowell

Il y a quelque chose de très dense, mais aussi de très léger, de presque aérien, dans ce tout petit bout de roman que j’aurais eu envie de faire durer toujours.

Nous sommes au Chili, dans un appartement de trois pièces : une verte, une bleue, une blanche. Dans l’une de ces trois pièces, un homme, Julián, raconte une histoire à une petite fille, Daniela ; la petite fille n’est pas à lui, mais bien à sa femme, Verónica, & l’histoire est celle de deux arbres qui sont amis depuis toujours. & cette histoire, en fait, est une histoire que Julián raconte en espérant que que Daniela s’endorme, parce qu’il se fait tard & que Verónica ne rentre pas. « Quand elle rentrera, le roman sera fini », nous dit l’auteur. « Mais tant qu'elle ne rentre pas, le livre se poursuit. Le livre se poursuit jusqu'à ce qu'elle revienne ou jusqu'à ce que Julián soit sûr qu'elle ne va plus revenir. » (p. 16)

C’est sur cette prémisse fragile qu’est bâti tout le livre ; c’est autour de l’absence de Verónica, mais aussi de ce qui attend Daniela et Julián si elle ne rentre pas, que s’amalgament les souvenirs & les images, les impressions diffuses & les tronçons de poésie qui tiennent ici lieu d’intrigue. Sans vouloir en dire trop, parce qu’il y a dans la découverte de ce livre, dans la lecture lente & posée qu’il appelle, un plaisir immense – sans vouloir en dire trop, je peux quand même dire que La vie privée des arbres m’a plu, m’a tellement énormément plu, parce qu’il réussit à mettre des mots sur le pouvoir particulier que les mots peuvent prendre dans une vie, & sur toutes les petites trahisons de la mémoire, & sur l’inexplicabilité fondamentale des gens qui nous entourent, même (& peut-être surtout) ceux qu’on aime.

L’auteur dit de Julián qu’il « ne voulait pas vraiment écrire un roman ; il désirait simplement atteindre une région nébuleuse et cohérente où il pourrait entasser ses souvenirs. » (p. 47) & c’est ainsi que le livre se présente, en fait : nébuleux mais cohérent ; hautement stylisé, à sa façon, mais sans un mot de trop. Vaporeux & concis.

« Pourquoi faut-il recueillir les histoires, est-ce que par hasard elles n'existent pas toutes seules? » (p. 94) C’est ce que se demande Daniela dans les dernières pages du livre, alors qu’elle a déjà oublié les histoires que Julián lui racontait, sur ces arbres amis auxquels il mettait tant d’efforts à inventer une vie. & est-ce que les histoires existent si elles ne sont pas racontées? Est-ce qu’elles existent s’il n’y a plus personne pour se souvenir d’elles? Le roman ne le dit pas. Mais il tisse autour de ces questions de si douloureusement belles parenthèses que ce serait impossible de le lui reprocher.